Commentaire d’arrêt: Cour de cassation, Chambre criminelle, 5 Novembre 2019 – n° 18-86.281

Dans cet arrêt, la Cour de cassation est venue rappeler que la prescription d’une infraction applicable aux faits n’empêche pas de statuer au vu d’une qualification des mêmes faits conduisant à retenir une autre infraction non prescrite. Elle réaffirme ici une jurisprudence classique, bien que parfois oubliée….

I. Exposé des faits


La victime a déposé plainte contre le prévenu pour mise en danger de la vie d’autrui, expliquant qu’elle avait arrêté son véhicule afin de montrer un sanglier à sa jeune fille, dans un lieu où n’y avait pas de panneau de « chasse en cours », avant que le prévenu n’arrive avec un véhicule, se positionne à environ 20 mètres d’eux et tirant à trois reprises sur le sanglier, le second tir aboutissant à environ 3,50 mètres d’eux…

Pour sa part, le prévenu soutenait que la battue était signalée et, qu’étant arrivé à environ 20 mètres du plaignant et de sa fille, il avait tiré deux fois en direction du sanglier puis une troisième fois sur une motte de terre dans le chemin où il se trouvait.

Il est ressorti de l’enquête que nombre de témoins ont indiqué qu’aucun panneau avertissant d’une chasse en cours n’était posé sur la route.

C’est dans ces conditions que le prévenu était cité devant le tribunal correctionnel:

– d’une part, pour mise en danger de la vie d’autrui à l’occasion d’une action de chasse collective, en poursuivant un sanglier en véhicule et en tirant trois coups de feu sur l’animal en direction et à proximité du plaignant et de sa fille mineure, alors qu’aucun panneau ne signalait l’existence d’une battue en cours et qu’il se trouvait posté sur une voie ouverte à la circulation et ses abords,

– d’autre part, pour les deux contraventions de non respect des prescriptions du schéma départemental de gestion cynégétique (SDGC) relatives à la sécurité des chasseurs et non chasseurs et de chasse à l’aide d’un engin motorisé prohibé.

II. La procédure correctionnelle


1. Dans un premier temps, le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu du chef du délit de mise en danger de la vie d’autrui, et condamné celui-ci pour les deux contraventions. Appel était donc relevé tant par le prévenu que par le ministère public. 

2. En cause d’appel et par arrêt en date du 10 octobre 2018, la Chambre des appels correctionnels près la Cour d’appel de Lyon a rendu une décision toute autre, puisqu’elle a déclaré le prévenu coupable du délit de mise en danger de la vie d’autrui et relaxé celui-ci des deux contraventions après avoir constaté la prescription de l’action publique. 

Pour ce faire, l’arrêt énonce notamment qu’en tirant à balles, en bordure d’une voie publique et à 20 mètres de deux personnes qui s’y trouvaient, il a exposé directement ces dernières à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi, en l’espèce l’interdiction de tirer hors zone de battue signalée, en arrivant sur les lieux avec son véhicule, en descendant et faisant feu à trois reprises malgré la présence de personnes physiques et l’arrivée possible de véhicules.

3. C’est dans ces conditions que le prévenu se pourvoit en cassation et soutient que l’action publique ayant été éteinte par la prescription, des faits prescrits ne peuvent servir de fondement à une poursuite pénale en retenant une qualification délictuelle à ces mêmes faits. Il prétend que les faits qui procèdent de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes.

Dès lors, il en déduit qu’en le relaxant des chefs d’infractions aux prescriptions du SDGC relatives à la sécurité des chasseurs et des non-chasseurs, (défaut d’apposition d’un panneau signalant l’existence d’une battue en cours sur la route départementale et utilisation d’un véhicule automobile en cours de battue), mais en le déclarant coupable de mise en danger de la vie d’autrui par violation délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la Loi (en l’espèce l’interdiction de tirer hors d’une zone de chasse signalée et d’arriver sur les lieux avec son véhicule), la Cour d’appel a méconnu le principe non bis in idem.

III. Portée de l’arrêt de la Cour de cassation du 05 novembre 2019 (n°18-86.281)


La Cour de cassation rejette le pourvoi et réaffirme un principe selon lequel d’une part, aucun texte légal n’interdit aux juges de tenir compte de faits prescrits, contradictoirement débattus, pour apprécier les éléments constitutifs d’une autre infraction commise en période non prescrite et, d’autre part, les faits dont le prévenu a été déclaré coupable et ceux objet des contraventions prescrites ne procèdent pas d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable. La cour d’appel n’a donc pas méconnu le principe ne bis in idem.

La portée de cet arrêt permet ainsi de rappeler tout à la fois:

  • S’agissant de la qualification pénal des faits, que les juges du fond ne sont pas liés par la qualification de la prévention de sorte qu’il leur appartient de restituer aux faits leur véritable qualification dès lors qu’ils se bornent à apprécier différemment, dans leur rapport avec la loi pénale, les éléments énoncés dans l’acte de saisine. Ce principe est constamment rappelé depuis de nombreuses années. (pour un exemple, voir : Cass. crim., 15 mars 2017, n°16-82.609). Autrement dit, le juge pénal doit statuer sur tous les faits objet de sa saisine, en leur restituant leur véritable qualification.
     
  • Si par principe, il est interdit qu’un même fait soit sanctionné plusieurs fois (principe Non bis in idem) le juge pénal peut être confronté à un concours réel d’infractions, dans l’hypothèse où plusieurs infractions différentes sont reprochées à un même individu, qui permettrait de retenir à son encontre plusieurs qualifications.Au cas d’espèce, la qualification de mise en danger de la vie résulte du fait d’avoir exposé des personnes à un risque de mort ou de blessures graves par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi, ce qui caractérise une atteinte à l’intégrité des personnes, dinstince de ce que protège la réglementation de la police de la chasse, qui est un corps de règles destinées à organiser sa pratique, y compris en termes de sécurité des chasseurs eux-mêmes et des non-chasseurs.Ainsi, la Cour de cassation juge finalement que le fait matériel de violation d’une règle de sécurité qui fonde le délit de mise en danger d’autrui, bien qu’il constitue également une contravention punissable à une règle de sécurité ou de prudence, dépasse la simple contravention en ce que le délit de mise en danger est également caractérisé par la violation d’une règle de sécurité. Au surplus, l’élément moral est caractérisé par le fait de tirer à plusieurs reprises à proximité immédiate de particuliers et au mépris de la sécurité des autres usagers, ce qui diffère manifestement des seules contraventions de chasse sans signalisation préalable et d’usage illicite d’un véhicule.
     
  • Enfin, compte tenu de ce qui vient d’être exposé, et c’est tout l’intérêt de la portée de cet arrêt, la Haut juridiction nous rappelle avec cette décision que la prescription d’une infraction applicable aux faits n’empêche pas de statuer au vu d’une qualification des mêmes faits conduisant à retenir une autre infraction non prescrite. Ainsi, le cumul idéal d’infractions permet-il de qualifier des faits délictuels qui seraient en partie fondés sur des contraventions pourtant prescrites…

    Le Ministère public aura donc beau jeu de rechercher si une qualification délictuelle peut être envisagée hors du champ même de la police de la chasse, en fonction des circonstances de fait, élargissant ainsi le spectre des poursuites à l’encontre des chasseurs au comportement dangereux.

Lire l’arrêt: https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000039389071&fastReqId=435235820&fastPos=1

Benoît BERGER