Pour la première fois, à notre connaissance, depuis l’instauration de la procédure de consultation prévue par l’article 1er du Protocole n° 16 à la Convention européenne des droits de l’homme entré en vigueur le 1er août 2018, le Conseil d’État interroge la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) pour recueillir un avis consultatif : cette question concerne la Chasse et plus particulièrement les associations communales de Chasse agréées (ACCA).

En effet, dans son arrêt du 15 avril 2021, le Conseil d’État demande à la CEDH de donner un avis consultatif sur les critères pertinents permettant d’apprécier si la différence de traitement établie par la Loi n° 2019-773 du 24 juillet 2019 entre des associations de propriétaires ou détenteurs de droits de chasse, selon qu’elles existaient ou pas lors de la création d’une ACCA, poursuit un objectif d’utilité publique fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts poursuivis par le texte, id est une meilleure organisation de la Chasse.

  • C’est la fédération Forestiers privés de France qui a demandé au Conseil d’État d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2019-1432 du 23 décembre 2019 relatif aux missions de service public des fédérations départementales des chasseurs concernant les ACCCA et les plans de chasse individuels.

Cette fédération estime que ce texte institue une discrimination qui serait contraire aux articles 14 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, notamment en ce qu’elle prive les associations de propriétaires créées après la constitution d’une ACCA du droit de se retirer de celle-ci, alors même qu’elles rempliraient l’une des conditions prévues par les dispositions de l’article L. 422-10 du Code de l’environnement.

Dès lors, seules les associations de propriétaires ayant une existence reconnue à la date de création de l’ACCA disposent du droit de s’en retirer, à condition de réunir des terrains représentant une superficie totale remplissant la condition prévue à l’article L. 422-13 du Code de l’environnement. Les associations créées postérieurement à cette date sont quant à elles privées de ce droit, même lorsqu’elles réunissent des terrains représentant une superficie totale remplissant la condition prévue à l’article L. 422-13 dudit Code.

Ladite fédération, qui invoque l’inconstitutionnalité de la Loi du 24 juillet 2019 (dont le décret du 23 décembre 2019 assure l’application), considère qu’il s’agit-là d’une discrimination.

  • De leur côté, les défenseurs du texte justifient cette différence par la volonté d’éviter l’affaiblissement d’associations communales, qui constituent un instrument d’une meilleure organisation de la chasse : cette limite temporelle instaurée par la Loi du 24 juillet 2019 permet donc d’éviter la création impromptue d’associations dont l’ objectif serait de démanteler le territoire d’une ACCA existante et ainsi d’empêcher les personnes qui ne sont pas propriétaires de la possibilité de chasser sur des territoires suffisamment vastes pour y être autorisées.

Dans sa décision n° 439036 du 15 avril 2021, la Haute juridiction administrative surseoit à statuer dans l’attente de l’avis consultatif de la CEDH sur la question suivante :

 » Quels sont les critères pertinents pour apprécier si une différence de traitement établie par la loi, telle que celle décrite au point 13 de la présente décision, poursuit, au regard des interdictions posées par l’article 14 de la convention en combinaison avec l’article 1er du premier protocole additionnel, un objectif d’utilité publique fondée sur des critères objectifs et rationnels, en rapport avec les buts de la loi l’établissant qui, en l’espèce, vise à prévenir une pratique désordonnée de la chasse et à favoriser une gestion rationnelle du patrimoine cynégétique, notamment en encourageant la pratique de la chasse sur des territoires d’une superficie suffisamment stable et importante ? « 

Lire l’arrêt :

https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000043385968?dateDecision=15%2F04%2F2021&juridiction=CONSEIL_ETAT&page=1&pageSize=10&query=*&searchField=ALL&searchType=ALL&sortValue=DATE_DESC&tab_selection=cetat

Nota sur les ACCA :

Instaurées par la loi VERDEILLE (1964), les ACCA regroupent de manière obligatoire, dans certaines communes, l’ensemble des terrains situés sur le territoire de la commune pour l’exercice du droit de chasse.

La loi permet cependant à certains propriétaires de demander que leur terrain ne soit pas inclus dans le territoire de l’ACCA, soit dès sa création, soit en le retirant par la suite.

Cette faculté est notamment soumise à la condition que le terrain concerné soit d’une certaine taille, de sorte que le retrait des terrains du territoire de l’ACCA après la création de celle-ci est permis à un propriétaire individuel qui possède un terrain suffisamment grand.

En revanche, depuis la Loi du 24 juillet 2019, ce droit de retrait n’est ouvert à une association de plusieurs propriétaires mettant en commun leurs territoires que lorsque l’existence de l’association était reconnue lors de la création de l’ACCA.

Pour juger de la légalité du décret d’application de la Loi du 24 juillet 2019 contesté devant lui, le Conseil d’État devait déterminer si cette différence de traitement, selon que l’association existait ou non à la date de création de l’ACCA, respecte le droit au respect des biens et l’interdiction des discriminations garantis par la convention européenne des Droits de l’Homme.

C’est sur ce point, qui concerne la législation française mais intéresse aussi les autres États européens qui ont une législation sur la Chasse analogue à celle de la France, qu’il a sollicité l’avis consultatif de la CEDH sur le fondement du protocole n° 16.

Benoît BERGER